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Formes et valeurs

Associer formes et valeurs pour réussir une composition

Presque tout le monde s’accorde à reconnaître l’importance des valeurs dans une peinture, mais beaucoup peinent à mettre en pratique cet aspect technique dans leur travail.

 

L’écart entre la théorie et la pratique dans ce domaine est un obstacle non négligeable, surtout à l’aquarelle, cette technique qui supporte difficilement les corrections et où le compromis fait partie intégrante du processus. Je me suis dit que la meilleure façon de commencer ce chapitre était de mener la réflexion sur la nature même des valeurs : que sont-elles et pourquoi ont-elles une si grande importance dans la construction de la composition ? Quel est le lien entre les valeurs et l’impact visuel de l’oeuvre?

 

Que sont les valeurs tonales ?

Je voudrais tout d’abord préciser qu’en parlant de valeurs, je me réfère à leur utilisation picturale. En effet, il y a une grande différence entre ce que nous pouvons observer autour de nous, la réalité, et l’utilisation de valeurs en peinture. Sur notre support en deux dimensions, sans profondeur ni volume, il n’y a pas de lumière ni d’ombre : les conditions climatiques (brouillard, brume où chaleur) n’y ont pas d ’effet. Notre art consiste à créer une illusion grâce à l’application et la manipulation de la peinture et, en grande partie, à la bonne utilisation d’une gamme de valeurs appropriée. Mais que sont les valeurs, justement? Ce sont les gradations d’une couleur, du plus clair au plus foncé. L’échelle des valeurs commence avec le blanc pour finir avec la valeur la plus
foncée, en principe le noir. Dans la peinture, nous nous référons souvent à une échelle de 11 valeurs, où 0 est le noir et 10 le blanc.

 

A quoi servent-elles ?

On se sert des valeurs pour créer l’illusion de lumière, d’atmosphère, de profondeur et de volume. À cause de facteurs externes, tels les changements de lumière ou les conditions atmosphériques, la couleur d’un objet observé semble fluctuer et ces changements déterminent l’ambiance de la scène. Par exemple, lors d’une belle journée ensoleillée, les valeurs seront très contrastées, les couleurs fortes et les contours très marqués. Si vous observez le même sujet éclairé par la lumière du petit
matin, il sera presque méconnaissable à cause de cette plus faible luminosité et des conditions climatiques différentes (comme des brumes matinales), qui se traduiront dans la peinture par une gamme de valeurs plus restreinte et moins contrastée, des couleurs ternes et des contours flous.
Mon conseil : pour obtenir une ambiance crédible, gardez à l’esprit l’effet recherché, choisissez l’échelle des valeurs qui correspond le mieux à cette ambiance et n’en déviez pas jusqu’au dernier coup de pinceau ! Pour arriver à un résultat où la lumière, les volumes et l’ambiance générale soient cohérents, l’artiste doit prêter attention aux valeurs dans chaque partie de sa composition, et ainsi créer des effets de profondeur, de volume, de forme et de texture plausibles et qui respectent la logique de l’effet recherché. Essayez d’imaginer une peinture sans lumière ni ombre, sans profondeur ni volume… À la limite, dans une peinture moderne ou abstraite. Mais dans une peinture plus classique, quel désastre ! Cela ne fonctionne pas.

 

Les valeurs tonales en aquarelle

L’aquarelle est unique parce que ces gradations de couleur sont obtenues en appliquant un pigment épais et opaque pour obtenir la valeur la plus foncée d’une couleur, et en le diluant avec de l’eau pour obtenir des valeurs plus claires. Chaque couleur possède une valeur maximale : certaines couleurs utilisées pures, et donc sans eau, sont naturellement moins foncées que d’autres. Le vert de phtalo nuance bleue (PG7) et le violet Winsor (pourpre de dioxazine – PV23) semblent presque noirs, alors que même dans leur état le plus opaque, d’autres couleurs, tels les cadmiums ou les cobalts, sont plus claires. Il existe donc une échelle des
valeurs spécifique à chaque couleur. Pour pouvoir peindre tout le spectre de ces gradations, tout en préservant la transparence et la fluidité de l’aquarelle, il vaut mieux comprendre avec quelles couleurs vous obtiendrez de beaux lavis sombres et celles qu’il vaut mieux éviter. Plus le pigment est foncé quand il sort du tube, meilleur est le lavis qui en résulte. Il est à noter que, à part
les noirs et les marrons, toutes les couleurs qui sont foncées avant dilution sont transparentes et donc idéales pour des mélanges sombres.

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Atanas Matsoureff. Adam, 67 x 54 cm.

Prenons par exemple cette peinture. La lumière
directe qui tombe sur le vieux blouson en cuir
s’y reflète de manière bien plus marquée que sur
le bois de la chaise sur laquelle la veste est posée.

COMMENT SAVOIR SI J’UTILISE LES VALEURS DE MANIÈRE INEFFICACE OU INCORRECTE ?

La meilleure façon de s’en rendre compte est d’observer plusieurs de vos peintures et de vous poser les questions suivantes :
◆ Est-ce que la lumière et les ombres sont convaincantes ?
◆ Idem pour la sensation de profondeur ou de volume : est-ce que la peinture est plate et sans profondeur et l’effet de distance
quasi inexistant ?
◆ Est-ce que le sujet semble réel ? Est-ce que le contenu de ma peinture véhicule une quelconque émotion ou crée une ambiance ?

Évaluer l’ éclaircissement des couleurs après séchage

Chaque aquarelliste ne le sait que trop bien : les aquarelles changent d’apparence entre leur application et leur état après séchage. Certaines couleurs varient à peine, mais pour d’autres le changement est radical. Nous avons tous connu la déception de voir un beau lavis sombre devenir, une fois sec, terne et d’une valeur moyenne. En anglais, nous avons un terme pour cette
différence entre la couleur humide et sèche : « drying shift ». Cette transformation pendant le séchage est quelque chose que vous apprenez avec l’expérience, par tâtonnement. Le prix à payer est une certaine dose de frustration et une accélération de la perte des cheveux ! Sinon, pour comprendre cette notion souvent négligée, reportez-vous à la page 72 du Grand
livre de l’aquarelle (disponible à l’adresse suivante : https://fr.divertistore.com – Tapez 1641 dans la recherche).

 

Comprendre la relation entre valeur, couleur et forme

Ce qu’il faut comprendre dès le départ, c’est qu’une valeur ne peut pas exister sans masse ou couleur. Inversement, une couleur ne peut pas exister sans les valeurs et les masses. Et bien entendu, une masse ne peut pas exister sans couleur ni valeur… En revanche, pour exister, les masses et les valeurs n’ont besoin que d’une seule couleur, contrairement aux couleurs qui ont besoin d’une gamme assez riche de valeurs et de masses. Vous voulez une preuve ? Considérons les monochromes : il n’y a qu’une
couleur et pourtant il peut y avoir une diversité de valeurs et de masses. Le contraire ne fonctionne pas : une peinture possédant une diversité de couleurs et de masses, mais une valeur unique serait très difficile à comprendre. Bien qu’il y ait un rapport très étroit entre les valeurs, la couleur et les masses, il est évident qu’il faut privilégier celui qui lie les valeurs et les masses. La couleur est un outil puissant pour évoquer des émotions et créer une ambiance forte dans votre peinture, mais elle n’est pas essentielle à
la structure même de votre composition. Les monochromes en sont la preuve. À mon avis, il faut surtout bien gérer le rapport entre valeur et masse. Une fois que vous êtes à l’aise avec cette question, pensez à la couleur. Il est très difficile de penser à la couleur et aux valeurs en même temps. Une fois que votre utilisation des valeurs devient instinctive, ajoutez une couleur à la fois.
À partir de deux couleurs, la logique change. Il ne suffit plus de se demander si la forme est d’une valeur suffisamment claire ou foncée, mais si telle couleur est assez chaude ou froide, trop vive ou trop terne. Pour chaque forme, il faudrait dorénavant se poser trois questions (et bien y répondre) pour garantir la réussite de l’oeuvre. Il faut un certain temps pour s’y habituer et c’est bien pour ça que je vous conseille de procéder par étape.

 

Associer valeur et forme pour réussir votre composition
Que ce soit un point ou un trait, chaque marque sur le papier décrit une forme. Certaines formes sont figuratives, d’autres 

abstraites. Certaines représentent des objets, d’autres l’espace entre les objets. Quand je parle de formes ou de masses, je pense à toutes les formes présentes dans une peinture, petites ou grandes, simples ou complexes. Les formes ne sont pas des objets isolés ; elles jouent un rôle essentiel dans le design global de la peinture et donc influencent son impact visuel. Les artistes qui maîtrisent les valeurs et les formes ont une longueur d’avance sur les autres.

 

Le premier plan : la construction, la vue d'ensemble

Il s’agit de faire les bons choix dans l’organisation des grandes masses, pour maximiser l’impact de votre oeuvre. Il faut organiser votre peinture autour de deux à trois masses ou formes principales, reliées entre elles de manière esthétique par la valeur dominante (claire, moyenne ou sombre, selon votre idée de départ). L’organisation de ces masses principales se regarde de loin, à une distance de 3 à 5 mètres selon le format de votre peinture. De loin, il est impossible de voir les plus petites masses et les
détails. En augmentant le contraste de valeur entre ces deux ou trois masses principales, nous augmentons l’impact visuel.

 

Le deuxième plan : faire connaissance avec le sujet

À une distance de 2 ou 3 mètres, nous commençons à apercevoir les masses de taille intermédiaire et à comprendre l’histoire racontée par la peinture. Pour garantir un fort impact visuel, veillez à ce que les contrastes de valeur de ces masses intermédiaires soient moins marqués que celles du premier plan. Sinon, quand le spectateur observera la peinture de loin, ces masses intermédiaires seront trop visibles et interféreront avec le design. Dans ce plan, les valeurs aident le regard à circuler à l’intérieur de la composition selon le cheminement choisi par l’artiste. Le mot clé ici est « subtilité » : le sujet commence à prédominer sur les masses. Parce que le nombre de masses de taille intermédiaire est plus important, il ne faut surtout pas oublier de les relier entre elles à l’aide d’une valeur commune, ou au moins de penser à les équilibrer autour de la peinture.

 

Troisième plan : se perdre dans les détails

De près, dans l’intimité de la peinture, ce sont les détails qui comptent. Mais attention, il n’y a rien de pire qu’une peinture où les détails sont trop marqués ou trop visibles au point de distraire le regard et de rendre les formes claires invisibles. Le détail est la cerise, pas le gâteau ! Traitez vos formes et vos valeurs de manière équilibrée : réduire le contraste et adoucir les contours dans une zone, renforcer le contraste et marquer plus nettement les contours ailleurs. Comme Laurel et Hardy, la réussite vient de l’opposition des contraires – si vous voyez le travail sous cette lumière, vous allez beaucoup vous amuser !

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